Troisième jour du Louder Than Life, et la fatigue ne se fait toujours pas sentir. Le soleil tape déjà fort sur Louisville dès le matin, et l’air est saturé d’électricité. On devine, en traversant le Kentucky Exposition Center, que la journée va être dantesque : les affiches du jour parlent d’elles-mêmes — Deftones, Bad Omens, I Prevail, Black Veil Brides, Stone Temple Pilots, Ra, Versus Me — et un public qui dépasse toutes les attentes. Le sol est déjà poussiéreux, les stands de nourriture fument de burgers et de barbecues, et malgré les prix élevés, les files ne désemplissent pas.
Les fans, épuisés mais euphoriques, s’arment de bouteilles d’eau et de bandanas. Certains dorment dans l’ombre des tentes, d’autres crient déjà devant les scènes secondaires. Samedi s’annonce comme le jour du chaos, celui où le festival bascule dans la transe.
Versus Me — Le chaos dans un bar
Premier concert de la journée pour beaucoup, Versus Me joue sur la petite Bourbon Stage, normalement réservée aux groupes intimistes ou aux artistes acoustiques. Sauf que ce matin, c’est une déflagration. Dès les premières secondes de Terrified, le public explose. Slams, mosh pits, cris — le chanteur finit par se jeter littéralement dans la foule, porté à bout de bras dans une euphorie incontrôlée. L’énergie du groupe déborde de la scène, les murs tremblent, les verres vibrent, et même les serveurs se retrouvent à hurler les refrains.
Seul bémol : le son, complètement saturé. Le lieu ne pouvait clairement pas encaisser cette intensité. Mais l’instant dépasse la technique. Versus Me vient de transformer un bar en champ de bataille.


Ra — Une ouverture maîtrisée et un moment personnel
Quelques centaines de mètres plus loin, la Reverb Stage accueille Ra, qui a la lourde tâche d’ouvrir une grande scène sous un soleil de plomb. Le public est déjà nombreux, et l’ambiance est bienveillante, presque familiale. Call You Know My Name retentit, et c’est la communion : des couples dansent, des bras se lèvent, des refrains repris à l’unisson.
Moment inattendu et plus personnel : nous avons été invités par la femme du chanteur à assister à une partie du show depuis le side stage. Une expérience rare, intime, qui offre une autre perspective sur la performance. Voir la foule onduler de côté, sentir la vibration des retours scéniques, observer le groupe concentré entre chaque refrain — c’est un privilège discret, mais fort.
Le set, parfaitement exécuté, s’achève sur une ovation méritée. Ra signe une ouverture de scène élégante, fédératrice, et profondément humaine.








Black Veil Brides — Glam et gravité
Black Veil Brides arrive sur la Blister Stage en début d’après-midi. Andy Biersack, silhouette sombre et charismatique, galvanise la foule malgré la chaleur étouffante. Crimson Skies, Fallen Angels, Rebel Love Song — les hymnes s’enchaînent dans un décor saturé de noir et d’or. Le public, moins nombreux qu’en soirée (10 à 20 000 personnes tout de même), chante à pleins poumons.
Mais au milieu du set, le concert est brièvement interrompu pour un malaise dans le public. Silence, inquiétude, puis soulagement quand la sécurité évacue calmement la personne. Andy remercie les secours, puis reprend : In the End clôture le show avec émotion. Une parenthèse poignante dans la frénésie.













Stone Temple Pilots — Une respiration, un hommage
Pendant l’heure du dîner, Stone Temple Pilots s’installe sur la Loudmouth Stage. Sous un ciel qui rougit, les riffs familiers de Interstate Love Song ou Plush résonnent comme une caresse. Le son est limpide, l’exécution impeccable. On y sent l’héritage grunge, la nostalgie d’une époque où tout semblait plus simple. Le public, multigénérationnel, se balance, chante, applaudit longuement. Pas de débordement, juste du respect et du plaisir. Une parenthèse élégante, presque apaisante, au milieu du tumulte du festival.



























I Prevail — La déflagration américaine
Puis vient I Prevail, et avec eux, un retour brutal à la réalité du metal moderne. Le soleil descend, mais la température monte encore d’un cran. Le groupe entre sur Fear (Let It Go), et la scène devient un volcan. Les slams se multiplient, le pit devient gigantesque, la poussière s’élève comme un nuage brun doré au-dessus du public.
Éric Vanlerberghe harangue la foule : « Push your f***in’ back! » — le wall of death se forme, et le chaos éclate. Violent Nature et Jump déclenchent des vagues d’énergie incontrôlables.
Hurricane est le point culminant : des milliers de voix unies, pyrotechnie à fond, visuels rouges sang. L’énergie est si forte qu’on oublie la fatigue, la chaleur, la poussière. Gasoline conclut le set dans une explosion finale, et Éric remercie Louisville : « You’re the best damn festival crowd in the U.S.! »
Sur scène comme dans le public, personne ne le conteste.


















Bad Omens — La messe du nouveau metal
La nuit tombe. L’air se rafraîchit un peu, et Bad Omens s’avance dans la pénombre. L’intro glaciale de Grey résonne, et la foule pousse un cri collectif. Les écrans projettent des images fantomatiques, les lumières blanches éclatent au rythme du chant.
Noah Sebastian est impérial. Sa voix passe du murmure au cri, de la tendresse à la rage pure. Do You Feel Love, Glass Houses, Nowhere to Go — chaque titre est accueilli comme un manifeste.
La setlist, longue et ambitieuse, déroule toute leur palette :
Concrete Jungle, Artificial Suicide, Specter, What It Cost, Like a Villain, Take Me First, Limits, Just Pretend, et le monumental Dethrone.
Deux morceaux — Specter et Impose — sont joués pour la première fois sur scène, déclenchant une hystérie collective.
Le pit s’ouvre, se referme, s’ouvre à nouveau. Noah hurle : « Louder Than Life, are you alive?! »
Ce soir, la réponse est évidente : tout le Kentucky bat au rythme de Bad Omens.

























Deftones — L’art de la rédemption
Il est presque 22 h quand Deftones monte sur la Main Stage. Le public est immense, compact, et déjà prêt à s’abandonner. Chino Moreno, silhouette blanche sous les projecteurs, entre sur Be Quiet and Drive (Far Away). Le son est d’une clarté chirurgicale.
My Own Summer (Shove It) suit, et les bras s’élèvent dans un mouvement d’ensemble. Puis Diamond Eyes, Digital Bath, Swerve City, Sextape… chaque titre est un souvenir, chaque riff un uppercut.
Chino alterne hurlements et murmures, marchant d’un côté à l’autre de la scène, souvent au bord du vide. Around the Fur relance la violence, Entombed adoucit l’atmosphère, et Headup clôt la soirée dans un grondement d’apocalypse.
Même les sceptiques sont conquis : Deftones a livré un concert à la fois puissant, spirituel et viscéral. Une leçon de maîtrise sonore.




























Conclusion — Une journée de contrastes et d’explosions
Ce samedi a tout eu : la sueur, la fureur, la communion. Des débuts rugueux de Versus Me aux hymnes générationnels de Deftones, en passant par la messe apocalyptique de Bad Omens et la rage galvanisante d’I Prevail, Louder Than Life a offert son visage le plus brut et le plus exalté.
Un public massif, une météo infernale, un son toujours plus précis, et cette impression que, trois jours après le début du festival, Louisville vibrait encore un peu plus fort que la veille.






